Mon enfant ne symbolise pas

Mon enfant ne symbolise pas. Et pourtant, je ne le sais pas. En effet, je n’ai pas compris ce que cela signifie et ce que cela engendre en terme de relation parent-enfant, parce que mon monde à moi est naturellement symbolisantComment puis-je faire ce pas alors, en tant que parent, en tant que maman surtout ? (oui surtout, parce que les pères n’écoutent pas ce genre de choses à vrai dire…). Je voudrais réussir à comprendre mon enfant et à communiquer correctement avec lui. Mais comment ?

En tant que psychologue et psychothérapeute structuraliste, je diagnostique toujours mes patients. Simplement parce que le traitement doit d’adapter à la structure psychique, comme nous l’ont appris Bergeret et Lacan. Et contrairement à beaucoup de mes collègues, je diagnostique bien évidemment aussi le fonctionnement des enfants. Je suis experte psycho-légale : je sais que c’est essentiel et surtout… possible !

La structure névrotico-normale (bleue dans l’infographie présentée infra) est présente dès la naissance, comme je l’explique dans mon ouvrage de psychopathologie disponible gratuitement ici : Puzzle. Les trois structures de la personnalité. Une autre structure est également présente dès la naissance : la structure non symbolisante (rose dans l’infographie). D’après mes calculs, 15% des enfants naissent avec cette caractéristique de personnalité, et ce n’est pas le contexte familial qui est responsable de cette structure, mais bien un phénomène qui nous est, pour l’heure, inconnu. Les parents ne sont pas « responsables » de la structure psychique de leur enfant. Sauf lorsqu’il s’agit de la troisième structure existante : la structure transgressive (verte). Cette dernière apparaît au cours du développement psycho-affectif d’un enfant né de structure névrotico-normale (bleue) qui a grandi avec une ou des figures d’attachement non symbolisant(s).

Le sujet est si complexe et méconnu (même au sein de la profession) que je suis actuellement occupée à rédiger un ouvrage qui s’y consacre en collaboration avec mon amie et collègue Nathalie Ekollo, psychologue française. Nous avons à cœur de transmettre aux parents mais également aux autres partenaires de vie des sujets non symbolisants, ainsi qu’à ces derniers dans la mesure du possible, ce qu’implique ce fonctionnement si particulier.

Pas plus tard qu’hier, je reçois une mère avec sa fille à mon cabinet. Cette dernière, adolescente de 14 ans, n’a pas repris son année scolaire à la fin de l’été. Elle souffre de maux physiques liés à un parasite intestinal qui durent depuis la fin de l’année scolaire précédente. À l’heure actuelle, elle craint le regard des copines sur elle. Il est très compliqué de comprendre ce qu’il se joue réellement en elle, tant elle exprime peu son vécu. Très souvent, à mes questions (Comment te sens-tu ? De quoi as-tu peur ?), elle répond qu’elle ne sait pas.

La maman craint que sa fille, qui reste donc à la maison en journée puisqu’elle ne va pas à l’école, la contrôle en l’appelant sans cesse au téléphone, mais il semble que les actes de l’adolescente doivent être compris d’une autre façon. En effet, comme je le décris dans cet article de blog, les paroles et les actes des sujets non symbolisants doivent être pris « au pied de la lettre », donc de manière concrète. Sans sous-entendus. Si l’ado lui demande où elle est, c’est qu’elle a besoin de savoir concrètement où est sa mère…

Chaque professionnel engagé dans la situation y va de son petit conseil, de ce genre de conseils qui fonctionnement bien avec un enfant symbolisant. C’est méconnaître totalement la spécificité relationnelle de l’adolescente. Cette dernière, en ce moment surtout, mais cela avait été observé par la mère depuis longtemps déjà, supporte très mal la frustration. Avec les modifications liées à l’adolescence, et ces maux de ventre (qui ont peut-être également un impact sur son fonctionnement psychique), le combat mère-fille devient plus rude. L’ado vole dans les plumes de sa mère, de sa grand-mère et de sa petite sœur. Elle estime que cette dernière est méchante avec elle (la petite, elle, symbolise et présente de plus un fonctionnement haut potentiel). Elles se chamaillent souvent : du coup, l’aînée ne donne pas à sa cadette la feuille de papier qu’elle lui demande. Pour quel motif ? Parce qu’elle lui en veut mais aussi parce que sa cadette n’écrit pas dessus mais la découpe en petits morceaux. « Et alors ? » me direz-vous ? Oui, mais c’est sans compter sur la perception de la jeune fille non symbolisante pour laquelle il y a des choses qui se font et des choses qui ne se font pas…

Quand sa grand-mère entre dans sa chambre sans frapper à la porte, l’ado de 14 ans l’engueule. Pour quelle raison ? Au motif qu’elle brise son intimité, comme le ferait valoir une ado symbolisante ? Non : au motif que cela la fait sursauter. Et ne croyez pas qu’elle évoque un prétexte fallacieux. Pour elle, le problème est bien qu’elle a sursauté.

Avec la mère, nous tombons d’accord sur les caractéristiques particulières au fonctionnement de son ado : cette dernière manque de « cohérence » (une fois c’est blanc, une fois c’est noir, puisqu’elle est incapable d’ambivalence), elle est influençable, elle ne présente pas de conflit de loyauté, elle peine à se mettre à la place des autres et son discours est orienté sur elle et sur ses besoins propres (elle est égocentrée), de fait elle se montre tyrannique, et elle n’apprend pas… Autant dire que cette mère est épuisée.

L’impossible gestion de la frustration conduit à la tyrannie du comportement de l’enfant non symbolisant. Surtout lorsque les parents ne lui ont pas mis assez de limites. Et ici, dans le cas d’espèce, le père est absent après avoir été démissionnaire…

Les proches de l’enfant non symbolisant rapportent en effet très souvent un vécu de tyrannie relationnelle parce que le cerveau de leur progéniture ne supporte aucune frustration. Ainsi, tous les enfants non symbolisants de la Terre coincent leurs parents bleus (normaux), même si cela n’est pas leur intention. Parce que les sujets bleus sont organisés autour du sentiment de culpabilité et de responsabilité envers leurs petits. Le sujet non symbolisant n’apprend pas. Il répète sans cesse la scène de frustration puisqu’il n’est pas en capacité de la gérer. Le sentiment d’impuissance du parent est alors très difficile à vivre.

Comment leur venir en aide ? Certains sujets non symbolisants adultes, les plus intelligents, sont capables de comprendre qu’ils fonctionnement différemment des autres humains, sans toujours être capable de s’adapter aux autres. Mais c’est peut-être déjà ça… Rien ne sert de leur proposer une psychothérapie. Ils ont davantage besoin d’une écoute et d’un coaching, qui les aidera un peu à naviguer dans les eaux vécues par eux comme troubles du monde des symbolisants.

Les enfants non symbolisants, quant à eux, sont stigmatisés par les copains, incompris des professeurs et des parents. Faut-il leur offrir un lieu spécifique dans lequel ils pourraient vivre des interactions non symbolisantes avec des jeunes qui parlent leur langage non symbolisant ? Dans notre société, dans laquelle chaque sujet non symbolisant a acquis des repères différents, cela semble impossible à réguler… En tous les cas, les groupes de parole ou groupes thérapeutiques ne mèneraient à rien : pour pouvoir en tirer un bénéfice, il faut pouvoir analyser son propre fonctionnement…

Pour permettre le meilleur développement des enfants non symbolisants que nous recevons en cabinet, ma collègue Nathalie et moi miserions davantage sur la mise en place de groupes d’entraide aux parents confrontés à cette réalité, afin que chaque mère et chaque père apprenne à fonctionner avec ce langage si particulier de leur enfant non symbolisant.

Livre à paraître