C’est en visionnant le film d’Olivier Delacroix (excellent journaliste, tellement bienveillant, et dont les sujets sont tellement importants !), « Dans les yeux d’Olivier / Relations toxiques », que je me suis mise à écrire cet article, avec la volonté d’aider les victimes de violences familiales à comprendre … enfin ! qui est leur bourreau. Que de méprise autour des raisons de leurs actes …
Il s’est surtout agi de Colette, qui témoigne dans le film d’Olivier, une femme dont l’existence a été envahie par une mère maltraitante. De la douleur de son mari et de la peur familiale que quelque chose d’un héritage malsain habite les descendants de cette tare. C’est moi qui utilise ce mot. La tare, au sens d’un grave défaut nuisible à un groupe ou à la société. Colette Bacro raconte son histoire dans son livre, « L’enfant bonsaï. Entre les mains d’une mère toxique ».
« Non, vous n’êtes pas comme elle/lui !! ». Voilà la phrase dont j’use si souvent auprès de mes patients adultes victimes de la maltraitance de l’un de leurs parents, auquel l’enfant normal s’identifie pourtant, de manière si naturelle, quasi invariablement. Mes chers collègues psychologues et psychiatres, de grâce, lisez et renseignez-vous, et cessez de chercher dans l’enfance des parents de nos patients victimes les raisons de ces comportements destructeurs. Nos patients le font déjà suffisamment seuls ! Avec tant d’empathie qu’ils croient toute une vie à un changement possible de leur géniteur. Avec tant de détermination que chacun de leurs propres gestes sont lus à l’aune de la potentielle, et si inquiétante, idée d’une transmission héréditaire. En oubliant une variable incontournable, LA variable par laquelle tout s’explique : la structure psychique du parent maltraitant. La mère de Colette n’était pas normale. Son cerveau était atteint. D’une manière qui est invisible au non spécialiste. Invisible même pour beaucoup de psychothérapeutes qui se croient connaisseurs de la question ! (encore une fois, la désignation pervers narcissique n’est pas pertinente sur le plan diagnostic ! cf. mon article à ce sujet).
Cette mère donnait le change. A son enterrement, les connaissances de cette vieille dame ont tout simplement nié Colette. En ne lui adressant pas la parole. Cette mère a réussi à se faire une place au sein du village, sans doute parce qu’elle savait assez bien quels comportements sont acceptables en société. Et aussi, et c’est important de le souligner : parce que les humains ferment les yeux sur des attitudes bizarres qui mériteraient pourtant qu’on s’y attarde un peu pour mieux en mesurer la portée … Combien de récits de bourreaux qui, dans l’intimité du couple, se comportent comme jamais, de l’extérieur, on aurait pu se l’imaginer ?
Oui, il existe, dans l’espèce humaine, des êtres dont la compétence d’empathie émotionnelle est gravement entachée. L’occurrence est suffisamment rare, et le cerveau humain normal suffisamment bienveillant, pour que l’on passe à côté de la bonne explication à leurs comportements. Des comportements vécus comme extrêmement violents par les victimes de ces individus qui eux, pourtant, ne savent pas vraiment quels sont les dégâts qu’ils provoquent. Pour le savoir, il faudrait qu’ils puissent avoir de l’empathie ! Dans l’émission précitée, Olivier évoque des personnalités incapables d’aimer, froides et dénuées d’empathie … Cela ne vous évoque rien ? Et pourtant, la littérature scientifique moderne perce enfin à jour les mécanismes décrits dans ces témoignages de victimes. La neurobiologie nous ouvre la porte de la compréhension de ces phénomènes. Avez-vous déjà entendu parler de la psychopathie ? Ou de la structure paranoïaque ? Non ? Alors, chers collègues thérapeutes, renseignez-vous ! Lisez J. Reid Meloy (« Les psychopathes. Essai de psychopathologie dynamique ») et James Fallon (« The Psychopathe Inside : A Neuroscientist’s Personal Journey into the Dark Side of the Brain ») pour un abord clinique de la psychopathie, lisez Adrian Raine (« The Anatomy of Violence ») pour en connaître l’origine et lisez les numéros de Cerveau&Psycho pour accéder à une description précise des mécanismes cognitifs et affectifs en jeu !
On ne devient pas psychopathe ou paranoïaque à la force d’un environnement de vie éprouvant. On est psychopathe ou paranoïaque parce que quelque chose, dans notre cerveau, ne fonctionne pas correctement. Olivier reformule les propos de Colette, en évoquant la « peur de l’héritage » dont souffre Colette. Et pourtant non, cette tare ne se transmet pas génétiquement. Lisez Raine, disais-je. Les sources du problème sont sans doute diverses et variées. Et pour la variante génétique du risque de violence (incrimination de la forme peu active du gène MAO-A) – et je ne parle même pas encore d’un risque de psychopathie – le type de gène transmis par les parents n’est pas un déterminant de la violence à l’âge adulte si l’enfant a été bien traité dans son enfance.
Comment savoir, alors, si un enfant est atteint de psychopathie ? En le diagnostiquant. En écrivant cela, je risque de heurter nombre de mes collègues qui travaillent auprès d’enfants et qui refusent de diagnostiquer le fonctionnement psychique de leurs petits patients tant que leur développement ne serait pas devenu mature. Et pourtant, au sein du collectif pratiquePsy que je dirige, nous menons actuellement deux expertises en protection des mineurs dont l’une implique un père psychopathe (non violent physiquement) et l’autre un enfant qui présente toutes les caractéristiques de la psychopathie (et qui risque de se montrer dangereux dans le futur). Nous n’inventons pas ces diagnostics : les signes cliniques sont là. Il s’agit seulement de les connaître et d’en prendre acte. Parce qu’il va falloir en faire quelque chose : accompagner ces personnalités psychopathiques pour diminuer leur risque de passage à l’acte délictueux ou violent.
Que faire, alors, s’il s’avère qu’un enfant présente les caractéristiques neurobiologiques propres à la psychopathie ? Et bien, il s’agira de l’accompagner en connaissance de cause. Soit en ne niant pas son déficit d’accès à l’empathie émotionnelle, en comprenant ses caractéristiques cognitives et en se basant sur les recherches scientifiques pour proposer un traitement. Selon certaines études, le psychopathe peut utiliser son empathie émotionnelle mais quelque chose dans son cerveau fait que, naturellement, il ne le fait pas. Si on lui demande de le faire, il peut allumer cet interrupteur à empathie. Pourtant, malgré ces connaissances, je ne connais aucune initiative thérapeutique dans ma région visant à proposer un traitement adapté à ces patients, des patients qui représentent pourtant un réel danger pour la société.
Je pense à ma patiente, une survivante, qui a grandi avec une mère psychopathe, et qui a confirmé, à sa 10e séance de psychothérapie avec moi, l’importance de l’éclairage que je lui ai donné sur la structure psychique de sa mère. Elle m’a dit combien cela avait été important que je formule (outre qu’elle-même était haut potentiel), que sa mère avait « un problème » psychique grave. « Sans ça, on n’avance pas », dit-elle. Elle ajoute qu’elle n’a pas pu faire d’avance avec son ancienne psychothérapeute qui se montrait empathique avec sa mère maltraitante. Ainsi, à mes collègues de toute obédience thérapeutique, je dis et je le redis : cessez de craindre le diagnostic. Diagnostiquer, ce n’est pas juger. C’est éclairer nos patients et c’est les décharger du poids de l’héritage.
Bien entendu, diagnostiquer un être humain en son absence implique de prendre de très grandes précautions. Je n’assène pas des diagnostics, je les formule sous forme d’hypothèses diagnostiques. Cela demande à la fois de très bonnes connaissances en psychopathologie de la part du clinicien, mais cela demande surtout de faire de son patient victime un expert diagnosticien à l’endroit de son parent maltraitant. Ce sont nos patients capables d’élaborer, ceux qui consultent les psychothérapeutes en privé en s’engageant dans une véritable démarche personnelle, qui font le travail de reprendre « l’évaluation » à zéro. En observant mieux, en questionnant mieux les comportements de leur parent, et en évitant des interprétations privées.
Virginie Kyburz / 13.04.2018