Ma pratique la plus récente m’a fait rencontrer un certain nombre de patients qui présentaient des difficultés à vivre, à se comprendre eux-mêmes dans leur réactions face aux situations du quotidien (situations relationnelles, surtout) et qui, pour les premiers que j’ai eus à recevoir, avaient eu maille à partir avec des individus décrits comme destructeurs.
Les caractéristiques principales de ces patients sont une grande capacité à se penser, une exigence ravageuse vis-à-vis d’eux-mêmes et une recherche personnelle pour se comprendre entreprise depuis bien longtemps. A cela s’ajoute une capacité d’empathie si importante qu’elle leur joue des tours et une composante émotionnelle très active. Plusieurs d’entre eux avaient déjà été reçus par un ou des psychologues desquels ils ne s’étaient pas sentis compris. Une certaine similarité au niveau du fonctionnement cérébral avait permis notre rencontre.
J’ai donc évoqué ces premières rencontres – conscientes – avec ces personnalités particulières (je dis conscientes parce que j’en avais bien entendu déjà rencontrées sans pourtant les diagnostiquer comme telles) dans un contexte bien précis. J’avais en effet participé à la rédaction d’un article dans un journal féminin qui était consacré aux amitiés toxiques. La journaliste avait souhaité s’entretenir avec moi à ce sujet, et je lui avais proposé quelques pistes théoriques et cliniques. Mon nom s’est ainsi retrouvé dans une page du magazine suisse Edelweiss, et deux femmes qui en avaient pris connaissance m’avaient contactée. Elles avaient en effet chacune croisé le chemin d’un homme qu’elles considéraient comme un « pervers narcissique ». Quelques mois auparavant, un homme qui tentait de se départir d’une relation destructrice avec une femme avait également sollicité mes services. Je connaissais à ce moment-là le lien qui unit si facilement, et le plus souvent pour un temps seulement, un individu à haut potentiel et son compagnon de galère « pervers narcissique ».
J’ai décidé d’évoquer ici, à l’occasion du présent article, les individus à haut potentiel qui ne présentent pas de trouble psychiatrique. En effet, ceux que certains appellent « pervers narcissiques » peuvent également présenter un haut potentiel (mais qui se greffe alors sur un trouble psychique).
D’ailleurs, qu’est-ce que le haut potentiel ? Il s’agirait d’une particularité génétique affectant les connexions neuronales, et responsable de l’augmentation de la vitesse de traitement des données par le cerveau. Cette particularité serait également la cause d’une pensée « en étoile » ou en arborescence. La littérature décrit que les individus à haut potentiel réfléchissent vite et sont capables de déterminer rapidement les conséquences de certains actes. Au travail, ces êtres souligneraient les écueils et les avantages d’une solution choisie avant que leurs collègues ne puissent le faire. Beaucoup d’entre eux se reconnaissent comme « malins » (ils se disent capables de mettre en lien toutes les données utiles à la résolution d’un problème) même s’ils n’ont pas spécialement le sentiment d’être plus intelligents que les autres. Au sujet des individus haut potentiel et l’activité professionnelle, lire l’article en ligne « Un surdoué au travail, ça ressemble à quoi ? »
Deux auteures françaises majeures décrivent dans leurs ouvrages les enfants et les adultes « surdoués », et les difficultés qu’ils rencontrent. La dénomination « zèbre » est utilisée par Jeanne Siaud-Facchin, une psychologue qui a ouvert plusieurs centres spécialisés dans la « hpétude », en France. Quant à Monique de Kermadec, installée à Paris, elle a récemment fait paraître un ouvrage évoquant l’adulte surdoué et sa conquête du bonheur…
Comme troisième auteur francophone, je citerais Fabrice Bak, psychologue cognitiviste à Lyon. Dans la présentation qu’il a faite en faveur de l’association Mensa (qui regroupe des personnes qui obtiennent un score de 130 au moins à ce qui s’apparente à un sous-test de l’échelle d’intelligence de Wechsler), Bak parle des « doués » (voir sa conférence dans la vidéo « La douance adulte. Une force handicapante ») comme de « sentinelles », toujours aux aguets du moindre danger. On les dit paranos ? Lui nous dit que leur capacité à anticiper le danger leur permet de l’éviter …
Le fait d’être HP n’empêche pas l’individu de vivre ce que les autres êtres humains de sa catégorie structurelle vivent. Par contre, cela le mène à gérer différemment son vécu. Pour un exemple concret du développement et du parcours de vie d’un individu HP, j’invite le lecteur à visionner le très intéressant documentaire consacré à Kurt Cobain, leader décédé du groupe mythique Nirvana, intitulé « Montage of Heck » (2015).
Comparez le discours, ainsi que « la vie et l’œuvre » de Kurt Cobain et ceux de Steve Jobs, et vous obtiendrez sans doute des éléments importants sur ce qui fonde leur différence structurelle. Le premier présente une structuration névrotique, le second a pris quelques chemins de traverse probablement dus à l’attaque de son narcissisme dans son jeune âge.
Sur le plan du traitement des difficultés rencontrées par ces personnes (et oui, le fait d’être né HP mène le plus souvent à des complications existentielles), j’observe chez mes patients que c’est par une meilleure connaissance d’eux-mêmes qu’ils avancent dans la vie. La « hpétude » n’est pas le seul élément qui constitue un zèbre, mais cette particularité est fondamentale pour comprendre la façon dont il vit les évènements de sa vie. A noter que j’ai fréquemment pu observer que certains symptômes des sujets HP étaient malheureusement identifiés à tort comme constitutifs d’une structuration psychotique, d’où l’importance de bien circonscrire les différentes composantes d’une personnalité.
Pour une discussion synthétique mais néanmoins exhaustive sur l’adulte à haut potentiel, j’invite les personnes intéressées à lire l’article qui est paru dans le magazine planète santé d’octobre 2015 et qui est visible ici (pp. 28-29).
Beaucoup de mes patients me demandent si cela est vrai que les HP « se reconnaissent » (sans le savoir !) entre eux. Qu’ils se retrouvent par une forme d’affinité sélective. La réponse est oui : ils ont du plaisir à partager ensemble, leur cerveau peut fonctionner à la vitesse qui est la leur et ils ne s’ennuient pas, ne s’impatientent pas dans les conversations entre eux.
D’accord, mais comment fait-on pour savoir si l’on est « haut potentiel » ? Vous vous questionnez, et doutez, comme beaucoup de personnes à haut potentiel, de votre statut ? Il peut s’avérer difficile d’avoir conscience de sa propre hyperactivité cérébrale ou de sa pensée en arborescence lorsqu’on est HP. Non pas parce que nous en serions « inconscients » au sens d’une défense, c’est juste que cela ne nous apparaîtrait pas que l’on puisse être autrement (c’est une habitude pour nous, c’est naturel !).
Pour valider absolument l’hypothèse, il n’y a qu’une façon : passer un test de QI et obtenir une note entre 120 et 130 (au moins) pour chacun des 4 indices (4 « sphères » cognitives testées) :
– mémoire de travail ;
– vitesse de traitement ;
– raisonnement perceptif ;
– compréhension verbale.
Les tests en ligne (sur le web) n’ont pas de valeur. Le seul test en Europe qui est reconnu valable est l’échelle de Wechsler, en ce moment la version IV : WAIS-IV.
Je ne la pratique plus parce que je ne la trouve plus utile pour me faire une idée du diagnostic, par contre passer le test peut s’avérer porteur soit pour la personne qui doute, soit pour évaluer plus précisément les points forts et les points plus faibles de l’intelligence, en particulier quand il y a présence de troubles psycho-organiques (lésions au cerveau) ou de troubles affectifs très impactants. MAIS un score plus bas que 120 à l’une ou l’autre des sphères testées n’empêche pas d’être HP. Donc il faut avoir la chance de rencontrer un professionnel suffisamment spécialisé pour qu’il soit capable de ne pas tenir compte que des résultats aux tests, mais aussi de l’évaluation clinique.
A vous de voir, mais vous pouvez vous épargner le test. Beaucoup de mes patients ont fini par comprendre qui ils sont sans avoir à le passer (mais pas tous, il est vrai).
Ne vous inquiétez pas, être HP n’est pas une tare, c’est une force et parfois une fragilité, mais si c’est ce que vous êtes, ne pas le savoir est encore plus compliqué à vivre que de faire avec. Les premiers questionnements travaillent beaucoup les zèbres. En effet, ceux qui savent sont tous passés par un moment plus … déstabilisant.
Virginie Kyburz / 10.03.2016